L'arrivée était plus conventionnelle que tout ce qu'ils avaient pu faire tous les deux jusqu'ici. Chloé n'avait pas senti son coeur battre aussi fort depuis bien longtemps. Même l'annonce de sa défaite aux élections ne l'avait pas faite trembler de la sorte. Elle ne savait pas bien ce qu'elle devait attendre de tout cela. Mais elle était là. Dans cet avion qui allait bientôt se poser sur la plateforme de Londres où l'attendait son mari. C'était bien étrange de l'appeler ainsi. Elle ne connaissait que ce qu'il avait pu lui dire et ce qu'elle avait pu trouver lors de ses recherches poussées sur sa vie. Elle ne savait pas s'il sentait bon, s'il était du genre à tenir quelqu'un par la main ou pas. A y penser, elle avait quelque peu l'envie de faire demi tour et de revenir à Paris. Mais pour y faire quoi ? Plus rien ne l'attendait là-bas, et on ne fait pas faire demi-tour à un avion lorsqu'on est une personne ordinaire.

L'annonce de atterrissage imminent raviva son trouble. Elle en était à se ronger les ongles comme une gamine qui va passer ses examens. Les cheveux parfaitement lisses, son maquillage soigné et sa tenue règlementaire d'une chef d'Etat, lui donnaient des airs de femme coincée qui ne sait pas profiter de la vie. Bien qu'elle ne se considérait point comme telle, c'était le cas. Elle ne s'était pas amusée depuis une trentaine d'années.

L'avion se posa en douceur. Chloé se mit à serrer sa bouteille d'eau entre ses doigts. Elle ne pourra pas voir le visage de l'homme qui devrait normalement l'attendre, avant de descendre. Elle pensa soudainement à une cigarette, mais ça n'existait plus que sur le marché noir, et il aurait été inconvenable qu'elle tente pour l'instant de s'en procurer. Mais quel bien fou elle aurait trouvé à tirer une bouffée de ce poison, à cet instant précis.

« Madame ? Nous sommes arrivés. Il va vous falloir descendre de l'avion s'il vous plait. »

L'ancienne gouverneure ne s'était pas rendue compte que tous avaient quitté l'appareil. Il ne restait plus qu'elle... De quoi bien se faire remarquer lorsqu'elle descendrait. Les journalistes devaient l'attendre. Par chance, elle avait un certain contrôle sur les médias. Contrôle qui n'était pas complet malheureusement.
Chloé mit la main sur son sac et s'éloigna de cette place qui lui semblait finalement plus confortable que la sortie d'avion. Suivant la longue trajectoire dessinée de flèches, elle commença à lire une pancarte « visiteurs », en anglais. Super, elle était sur le point de rejoindre 'son homme'...

Mais elle ne vit personne l'attendre sagement, les yeux rivés sur la sortie des pistes d'avions. Elle arrivait à Londres et on ne l'attendait pas. Ni médias, ni mari.
« Madame ? » On l'interpela. Elle n'était pas au bon endroit. Elle n'avait pas suivit la bonne flèche. La tête dans les nuages sans doute. L'hôtesse d'accueil lui fit signe de la suivre et la conduit au hall de l'aéroport.

Un homme en veste de cuir, ou du moins ce qui y ressemblait le plus, ne la lachait déjà plus des yeux. C'était lui, il n'y avait aucun doute après toute les photos, vidéos et hologrammes qu'elle avait pu voir. Lui souriait. Elle n'était cependant pas certaine de la tête qu'elle faisait. Dans tous les cas, son visage était plus crispé que tout le reste de son corps. Néanmoins, un sourire léger et peu forcé se dessina sur ses lèvres à mesure qu'elle avançait vers lui.

Il lui semblait avoir attendu ce jour depuis si longtemps. Il n'était pas même certain que ça arrive vraiment. Elle aurait sans doute encore de quoi se défiler. Il n'avait pas encore reçu de message lui disant qu'elle avait un empêchement. Donc cela voulait dire qu'il était fort probable qu'elle soit vraiment dans cet avion. Chloé Labelle. Elle portait très bien son nom bien qu'elle l'avait combiné d'un Roy qui lui allait encore mieux. Elle a toujours eu le don de lui souffler le chaud et le froid. Il faut bien l'avouer, il aimait beaucoup ça, presque autant qu'il détestait qu'elle le laisse en plan chaque fois. Avant qu'elle ne lui donne son accord tardif pour le retrouver à Londres, il s'apprêtait à tout arrêter. Il avait le sentiment que tout était faux parfois. Mais ses mots semblaient sincères lorsqu'elle lui disait que sa présence lui apportait du réconfort, et qu'elle aimerait être là pour lui. Aaron était presque certain de pouvoir dire lorsqu'elle en faisait un peu trop. Mais Chloé était une femme de public, une politique bien entrainée au mensonge, et il savait à peu près qu'elle s'était servie de lui. Ne se sert-on pas tous des autres pour se sentir bien ? Il ne lui en voulait pas vraiment. Mais à présent qu'elle avait perdu les élections, quel serait son but de vouloir se jouer de lui ?

Il tâcha de s'habiller de manière plus présentable pour sa dame. Pas qu'il n'était pas sortable, mais il savait qu'un tee shirt et un jean ne feraient pas l'affaire pour l'occasion. Il enfila une chemise pratiquement neuve tant il en portait et un jean foncé qui lui donnaient une allure élégante. Une veste en cuir venait casser le tout, mais il savait que s'il comptait un peu pour elle, il ne la ferait pas fuir ainsi.
Pas de pancarte comme dans les vieux films où l'un attend l'autre avec son nom sur un papier. Il l'attendait seulement avec une rose, touche de romantisme qu'il n'avait pas utilisée depuis le dernier dîner romantique avec sa défunte femme.

L'avion s'était posé. L'écran l'indiquait déjà avant que le flot de passager de vienne envahir le hall déjà bien occupé. Son regard scrutait chaque femme aux cheveux chatains qu'il voyait passer. Il avait raison tout compte fait. Elle n'était pas là, et elle ne l'avait pas même prévenu cette fois. C'en était peut-être fini de toute cette mascarade ? Non. C'était même loin de l'être.
Son cœur fit un bond. Chloé Roy était là. Sa femme était bel et bien présente. Il pourrait la serrer dans ses bras, la découvrir et lui faire visiter cette maudite plateforme qui les maintenait tous en vie.
Elle était belle. Un peu trop pour lui, bien qu'à ce niveau là, il estimait bien se défendre. Un peu plus belle que dans ses souvenirs. A moins que la technologie n'ait pas assez conscience de la beauté pour la reproduire à la perfection...

Chloé s'était avancée à sa hauteur et lui avait avancé de quelques pas sans faire attention qu'il était maintenant face à elle. Il lui tendit la rose sans le moindre mot. Il était incapable de parler. Pourtant, il allait falloir rompre ce silence, parce que le temps allait passer bien doucement s'ils se regardaient sans rien dire à longueur de temps.
« Tu as fais bon voyage ? »
Le temps était à la question 'est-ce que je dois lui faire la bise ou l'embrasser rapidement ?' Il n'avait aucune envie que ce soit rapide. Il voulait prendre son temps, l'avoir pour lui, créer une intimité et peut-être un peu plus tard dans la journée, consommer dignement leur mariage. « Laisses moi porter tes bagages au moins... J'ai loué une voiture, ce sera plus simple pour les valises. »

Elle ne savait pas ce qu'on devait dire dans une telle situation. En fait, elle n'arrivait pas bien à comprendre, déjà, ce qu'il y avait réellement entre eux. Parfois, elle se disait qu'il l'avait épousé pour l'argent, mais il ne lui avait jamais rien demandé. Par amour ? Comment pouvait-il l'aimer alors qu'il ne l'avait jamais vue en vrai ?
Une rose à la main, il avait un charme indéniable qui lui soutira un sourire plus sincère. « Oui, très bien... merci, pour la rose. » Elle la porta machinalement à son nez. Les roses n'avaient plus l'odeur d'autrefois, comme si elles avaient perdu l'envie de donner à ce monde quelque chose d'aussi beau qu'autrefois. La nature n'était plus tellement naturelle après tout, ici, sur les plateformes...
« Tu n'étais pas obligé... Tu as pu te libérer pour cette après midi comme tu le voulais ? » Un non était attendu. Elle n'avait pas la moindre envie de l'avoir sur le dos toute la journée. Elle avait déjà de la chance qu'il n'ait pas attendu un baiser de sa part. C'était une rencontre froide. Pas de retrouvailles, pas d'embrassades, aucune familiarité. Il lui donnait l'impression d'être son garde du corps, où le mec qui porte les bagages et dont on oublie toujours le nom et celui de son métier. Elle s'arrête un instant, levant la tête pour le fixer droit dans les yeux. « C'est tellement... je ne sais pas ce que tu attends de cette journée avec moi. Cette rose, cet espèce de romantisme... Je sais que tu attends ça depuis un moment mais je ne coucherais pas avec toi. » Son visage était fermé, et elle ne voulait pas qu'il pense qu'elle plaisantait. De toute manière, il la connaissait assez pour savoir qu'elle avait ses moments pour rire et que celui-ci n'en était pas un. Elle s'était montrée un peu plus crue qu'elle ne l'aurait voulu. Elle ne savait pas bien pourquoi, mais les mots lui étaient sortis seuls de la bouche. Il la troublait un peu plus qu'elle ne voulait le laisser entendre. Aaron avait assez de qualités pour qu'elle puisse s'intéresser à lui. Preuve était qu'elle avait gardé contact avec lui tout ce temps, même si c'était pour se servir de lui au final.

Evidemment, il n'était pas obligé de lui offrir une rose, mais le geste s'était fait naturellement. Comme lors d'un premier rendez-vous. Il avait encore des attitudes de gentleman. Cela ne voulait pas dire qu'il n'aimait plus sa défunte femme, bien au contraire. Elle n'était malheureusement plus de ce monde, mais comment pourrait-il l'oublier ?
Il commença à soulever la valise de Chloé. Il y avait fort à parier que celle-ci précédait de nombreuses autres valises. A moins qu'elle n'ait envisagé de ne passer que quelques jours avec lui ? Il n'était pas certain de supporter une présence féminine dans son quotidien, plus de quelques heures. Cela faisait trop longtemps qu'il s'était habitué au célibat et à la liberté... En fin de compte, la situation l'avait un peu arrangé jusqu'ici. Il n'était plus seul mais gardait ses libertés… Mais il n'en pouvait plus de la distance. Il n'était pas un amoureux transit, mais la voir et la toucher faisait partie des choses qu'il envisageait. « Oui bien sûr ! » répondit-il à sa demande. Il bossait là depuis bien trop longtemps sans arrêts maladies ni autre absence, pour qu'on ne lui refuse une après midi !

Elle s'arrêta net, lui eu encore quelques pas. Elle avait le regard d'une femme qui va dire quelque chose de déplaisant. Et pas râté ! Il ne savait pas lui-même exactement ce qu'il attendait. Il faut avouer qu'il avait des besoins qu'il pensait pouvoir satisfaire auprès d'une femme qui était censée être la sienne. « On pourrait déjà commencer par se parler ! Je dis pas que j'ai pas envie de coucher avec toi, bien au contraire. Tu crois que je t'ai fais venir juste pour ça ? Je sais pas, mais ça va faire genre quoi ? Cinq ans qu'on se parle ? Des mois qu'on s'est mariés ? Pourquoi t'es venue jusqu'ici toi ? Pour divorcer peut-être ? »

Il laissa un silence mais elle n'aurait pas eu le temps d'en caser une même si elle l'avait voulu, avant qu'il ne reprennne. « C'est bon j'ai compris, t'es venue parce que tu regrettes et tu veux divorcer. » Aaron n'était pas l'homme le plus expressif, et sans doute que sa longue tirade serait le plus grand effort qu'il ferait pour bien longtemps. Cette femme n'était pas claire, la situation non plus, et lui-même encore moins. Mais lorsqu'elle lui a annoncé qu'elle viendrait, il était heureux. Peu confiant, parce que c'était le coup d'une nouvelle étape qu'ils allaient franchir. Tout cela allait devenir réel, ils allaient être ensemble et allaient se découvrir au delà des millions de messages qu'ils s'étaient déjà envoyé…

Elle avait à peine parlé qu'elle regrettait déjà un peu son attaque. Elle n'était pas très docile avec les hommes. C'était une généralité. Elle avait reçu beaucoup d'avances dans sa vie. Il y en avait qui ne la laissaient pas indifférentes mais la plupart et même presque toutes avaient été refusées de manière brutale. Chloé sait ouvrir son cœur aux gens mais pas aux hommes pour partager sa vie. Elle n'a eu qu'un amour, et encore, elle ne s'est pas donné l'occasion de le vivre. Peut-être as-t-elle toujours eu peur que la vie ne le lui vole.

« Mais je ne suis pas venue pour divorcer... » avait-elle affirmé sur un ton déterminé. Elle le scrutait à présent. Son visage semblait fermé, elle n'aurait pu dire quelle émotion il pouvait ressentir. Il semblait plus impassible encore qu'elle ne l'était elle-même. Cela faisait bien longtemps qu'on ne lui avait pas parlé ainsi. A croire que tout le monde la craint et qu'on ne peut plus lui dire ses quatre vérités en face. Et cette manière qu'il eut de la secouer lui plut plus qu'elle ne l'avouerait. « Je suis venue parce que j'ai envie de nous laisser une chance. Jusqu'ici, je ne l'ai pas fais. »
Elle n'aurait pas pu être plus sincère qu'en disant cela. Bien sûr, il était un certain échappatoire à la défaite qu'elle avait subi en France. Mais elle aurait pu fuir sur une autre plateforme, rencontrer quelqu'un d'autre, demander à ce qu'on lui envoie des mails avec une demande de divorce et le tour aurait été joué. Elle avait joué la carte de la facilité si longtemps, elle ne pourrait pas continuer toute sa vie ainsi.